Cultivons la curiosité
En cette fin d'année 2019, il arrive que des films pouvant m'intéresser sortent sans que je m'y attende. Ici, James Mangold adapte sur grand écran l'histoire de Ken Miles, pilote atypique des années 60, avec pour toile de fond la course d'endurance la plus réputée au monde. En effet, le film est vendu comme un combat entre Ford et Ferrari, mais nous allons voir que l'histoire la plus marquante, la plus forte en émotion, reste celle de ce pilote Britannique d'une quarantaine d'années, au caractère bien forgé.
Le scénario est cosigné par Jason Keller, Jez Butterworth et John-Henry Butterworth, en s'inspirant du livre d'A. J. Baime "Go like hell : Ford, Ferrari, and their battle for speed and glory at Le Mans" qui est sorti en 2010. Nous voilà donc emporté dans le monde de la course automobile des sixties, pour 2h30. Un temps qui paraîtra bien court, même quand on va voir le film un jeudi soir. Mais regardons la bande annonce en VF, vu que c'est ainsi que j'ai vu le film.
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Tout d'abord, avant d'en venir à l'histoire, sachez que si avez peur des 150 minutes à venir, elles passent très rapidement. Encore plus si vous aimez sport auto. Donc n'hésitez pas à aller le voir. Bon, maintenant que j'ai débuté par la conclusion, voyons de quoi il en retourne. Le film s'ouvre sur la course Du Mans 1959, Carroll Shelby (Matt Damon) se donne à fond pour remporter la première place. L'occasion de voir la dangerosité de cette épreuve d'endurance. L'occasion de voir la concentration nécessaire pour arriver à rester en vie. L'occasion aussi de voir comment James Mangold va mettre en scène son film, avec des caméras embarquées sur le nez des automobiles de course, offrant des sensations merveilleuses.
Seulement, le gros point fort qui nous saute aux yeux d'emblée, c'est le son. Enfin, du coup c'est plutôt aux oreilles. Le bruit des moteurs est limite jouissif. Ici pas de V6 Hybride silencieux comme dans les Formule Un actuelles. Nope, ici ce sont des gros moteurs au bruit rauque, dont on perçoit les vibrations. Purée, voir ce film avec un bon son est primordial pour le savourer. Bon, ceci vaut évidemment si vous aimez le sport auto. Si tel n'est pas le cas, ce point ne vous paraîtra pas important. Cependant ne partez pas, car il n'y a pas que de la course.
Carroll Shelby remporte Le Mans 1959, mais se voit interdire de continuer la course (pourtant sa raison de vivre) à cause d'un cœur qui ne pourra pas tenir l'intensité d'une course d'endurance. Ni même celle d'un sprint comme la Formule Un. Bref, sa carrière de pilote s'achèvera sur ce coup d'éclat. Du moins c'est ce que semble indiquer le film qui omet que le pilote a couru en 1960 avec succès. Comme l'indique sa page wikipédia. En compensation d'un palpitant défaillant, Shelby va se lancer dans la conception d'autos de légende.
On le retrouve alors que sa petite entreprise connait la crise. En effet, malgré une équipe brillante, une auto incroyable (la AC Cobra), les finances sont en berne. Au point que nous voyons l'ancien pilote vendre une troisième fois la même auto afin d'avoir les fonds nécessaires à la production de celles-ci. Après avoir vu Carroll Shelby, nous voilà chez Ken Miles (Christian Bale), mécanicien indépendant, il est plus que doué pour la préparation des autos. Comme nous le voyons quand un client Étasunien vient se plaindre et que le Britannique lui explique gentiment qu'il ne sait pas la conduire.
L'occasion de découvrir cet homme atypique, qui, pour le coup, et grâce à l'interprétation magistrale de Christian Bale, éclipsera tout le reste du film. Ken bosse la journée, et courre le week-end. On le découvre trouver une solution peu conventionnelle afin de satisfaire les exigences du commissaire. C'est ici que nous voyons qu'il est un très bon ami de Carroll Shelby. Ce dernier estime que Ken est juste le meilleur pilote du monde.
Alors que nous avons appris à connaître le duo pivot du film, un troisième acteur nous est présenté. Il ne s'agit pas d'un personnage, mais d'une entreprise. La Ford Motor Company. Avec l'usine d'assemblage réunissant ouvriers comme ingénieurs ou directeurs marketing. Henry Ford deuxième du nom (Tracy Letts) vient pour pousser une soufflante. Il faut absolument relancer les ventes, avec de bonnes idées, sans quoi l'entreprise créé par son grand père mettra la clé sous la porte. Le discours de Henry Ford II est abject et virulent. Il menace de virer quiconque est incapable de lui faire une proposition correcte pour sortir l'entreprise du rouge.
Il se trouve que son directeur marketing, Lee Iaccocca (Jon Bernthal) a une idée. En ce moment Ferrari gagne tout Au Mans. L'image qui en ressort est que même si Enzo Ferrari produit peu de voitures, il est un gagnant. Or, une rumeur court sur la future faillite du constructeur Italien. Le moment idéal d'envisager une fusion. Là, nous verrons Lee partir en Italie afin de faire une proposition à Enzo. L'Italie conserve la partie course, avec le nom de Ford, mais les Étasuniens se chargent des voitures "normales". C'est là l'occasion unique pour Enzo de faire monter les enchères auprès de son compatriote de Turin, Fiat.
Le passage Italien est passionnant. En plus de jouer sur la barrière de la langue, il s'avère marquant par le côté bluffeur d'Enzo Ferrari (Remo Girone), mais aussi le fait qu'il n'hésitera pas à insulter les Étasuniens qu'il méprise au plus haut point. Désormais la guerre est lancée, et Henry Ford II, qui ne sera jamais que le numéro 2 même à la tête de la Ford Motor Company selon Ferrari, lance le plan de conquête Du Mans afin de faire taire cet arrogant Italien.
Vous vous en doutez, c'est ici que Carroll Shelby entre en jeu. En sachant qu'il est capable de concevoir des voitures sportives avec un moteur Ford (c'est la cas de la AC Cobra, le châssis AC venant de Grande-Bretagne), c'est donc vers lui que se tourne le constructeur de Detroit pour battre Ferrari. Shelby n'envisage pas de développer cette voiture sans Ken Miles. Qu'il arrive à faire adopter par les très prudes dirigeants de Ford. Cependant, Leo Beebe (Josh Lucas) ne veut pas de ce pilote aux méthodes peu "corporate". Nous verrons que ce personnage sera responsable d'un coup de pute, pardon du mot, mais d'un truc dégueulasse à la fin du film. Josh Lucas est brillant ici, car j'ai pris plaisir à le détester, ce qui prouve sa valeur comme acteur.
Le développement se déroule plus ou moins bien. Nous verrons cela dans la bande annonce, avec les appareils "modernes" (pour 1963), que Ken gicle et remplace par du scotch et des bandes de coton. L'occasion de voir le mécanicien chef, dont j'ai honteusement perdu le nom. La complicité présente entre lui, Ken et Carroll est superbe à voir. Ils bossent de façon artisanale, à mille lieux de l'état d'esprit du mastodonte Ford. Tout ceci est bien évidemment superbement bien mis en scène par James Mangold. Le développement de la voiture, la lutte interne entre Carroll et Leo, et la façon dont on nous conte la course Du Mans 1965 est, au début décevante, puis logique. C'est ici que l'on constate que Ken Miles est bien le personnage principal du film. Et ce n'est que justice.
L'échec de Ford Au Mans 1965 n'est jamais montré. Il est évoqué à travers le couple Ken et Mollie Miles (Caitriona Balfe), et c'est en fait parfait. Dès lors, nous allons assister au coup de bluff de Carroll afin de s'assurer de la présence de Ken Au Mans 1966. Un pari incertain qui s'avérera payant. Ce qu'il faut savoir c'est que oui, il y a peu de scènes de courses, mais elles sont intenses et viennent au bon moment. Elles rythment à la perfection le film, ce qui permet de ne jamais s'ennuyer.
Bon, on se retrouve Au Mans 1966, avec une représentation sympa de la France. Dommage, en VO cela doit être encore plus savoureux. On reconnait les panneaux publicitaires d'époque, comme Paris Rhône par exemple. La course est bien scindée, et si on se retrouve rapidement déçu par une adversité vite évincée, enfin, trop vite évincée à mon goût, ce n'est pas pour autant que l'adversaire principal est à terre. Il n'est pas forcément celui que l'on croit, et c'est en partie ici que le film n'est pas totalement franc. La promesse d'une lutte Ford contre Ferrari n'est pas complète. Mais je vous laisse le soin de découvrir qui est cet ultime ennemi que Ken et Carroll vont devoir essayer de vaincre.
Le film, et ce n'est absolument pas une surprise, s'achève sur l'accident mortel de Ken Miles lors d'un essai de la nouvelle voiture. Sur un problème que nous avions vu venir plus tôt. Son décès est d'une sobriété, qui sera capable de vous sortir des larmes tant on a éprouvé de la sympathie pour ce personnage. D'ailleurs, en terme de cast, c'est presque parfait. Christian Bale éclipse tout le monde, Tracy Letts et Josh Lucas sont détestables (euh, leurs personnages pardon), Caitriona Balfe est parfaite en épouse compréhensive, Noah Jupe qui joue le fils de Ken est impeccable. En fait, et ce n'est pas une question de qualité de jeu d'acteur mais bien de physique pour Jon Bernthal et Matt Damon. Ils ne semblent pas complétement dans leur élément. On sent qu'ils sont ultra musclés, et je trouve que pour quelqu'un souffrant du palpitant, avoir un Carroll Shelby avec des biceps issus d'une musculation quotidienne, ça sort presque du film. Attention, les deux acteurs sont impeccables dans leurs jeux respectifs, c'est juste un problème physique, je les trouve trop "modernes". Comme si nous avions demandé à Sylvester Stallone de faire un pilote de F1 ou de CART alors que l'on sait que le poids des pilotes doit être le plus faible possible.
En ultime petit point sombre, on regrette ce qui semble être le manque de liberté prise pour la course en elle-même. En parcourant wikipédia, je me rends compte que Ken Miles a bien participé Au Mans 1965, pire, il n'a pas signé le meilleur temps au tour en 1966, vu que c'est Dan Gurney qui s'en chargera. Alors pourquoi ne pas avoir rendu la course plus palpitante, les Ferrari disparaissant trop tôt (comme lors de la vraie course). Surtout que la lutte entre un Enzo Ferrari arrogant mais présent et Henry Ford II s'en foutant royalement, préférant aller dîner en ville avec son hélicoptère et revenant tardivement le lendemain, était passionnante et même comique. Le coup des chronomètres ou du boulon. Les dialogues en italiens ne sont pas traduits ici, mais on devine aisément ce qu'il se dit.
Par contre, et parce que ce film m'a donné envie d'en savoir plus sur le déroulement de la course, le fait que Ken Miles a ralenti pour offrir une belle photo est réel. Tout comme d'autres détails expliqués dans cet article de Télé Loisirs (oui bon, j'ai pris le premier article vu). Bon, sinon il y a aussi l'excellent résumé en vidéo qui suit, signé motorsport.com.
Petit récapitulatif de la course des 24 Heures du Mans 1966.
https://motorsport.tv/embed/JW5I7COn-24-heures-du-mans-1966?autoplay
Vous l'aurez compris, oui, ce film est prenant, oui il est très bien mis en scène et joué. On ne s'y ennuie jamais, et même si on peut regretter un manque d'images de course et un parti pris flagrant pour Ken Miles, cela reste un excellent film. Si vous aimez le sport automobile, il est à voir et à entendre. L'ambiance sonore avec le son des moteurs est incroyable. Si vous n'aimez pas le sport automobile, il reste l'histoire de personnages ayant fait un pari fou. Vaincre les invulnérable Ferrari Au Mans. Grâce aux actrices et acteurs on s'attache (ou déteste) chacun d'entre eux. On appréciera le côté novateur de certaines idées, par exemple les freins chauffent, changeons le système complet ! C'est impressionnant quand on connaît un tout petit peu la mécanique.
Après, on regrette le physique de certains acteurs, qui ne colle pas aux standards des années 60. On regrette aussi le passage rapide sur la conception du châssis de la GT-40. Mais le film aurait été trop long dans ce cas. C'est un film que j'ai aimé et vous conseille, que vous aimiez ou non le sport auto.